Hier soir, je suis allé chercher ma fille à l’école.
Après les embrassades habituelles, elle m’annonce qu’elle est allée à son premier cours de catéchisme et qu’elle a adoré.
Je lui demande pourquoi.
Elle me raconte alors que la prof de catéchisme lui a enseigné l’histoire d’Abraham. Ma fille s’empresse alors de me raconter ce qu’elle a appris.
“Abraham avait pour femme Sarah. Le couple se désolait de ne pouvoir avoir d’enfant, Sarah (forcément…) était stérile.
Un jour, Sarah a un enfant, que le couple décide d’appeler Isaac.” [Oui, j’ai aussi remarqué, l’histoire est singulièrement tronquée…] Elle raconte ensuite l’épisode d’Isaac, le sacrifice du bélier et le pacte d’alliance d’Abraham avec Dieu.
Sur ces faits, ma fille me récite alors la descendance d’Isaac, avant de conclure qu’elle adore le catéchisme, parce que “la dame” est très gentille.
Je la félicite pour son enthousiasme, mais relève cependant l’absence d’Agar et d’Ismaël dans son histoire, un épisode pourtant essentiel pour la bonne compréhension de ce récit bilbique. La responsable du catéchisme n’a pas daigné parler de cela.
Cette petite histoire a suscité en moi ces quelques réflexions.
La Logique du ventre
La stérilité de Saraï et la fertilité de sa servante Agar est une belle allégorie de notre époque. L’histoire de ces deux femmes illustre l’opposition entre tradition et nouveauté. Saraï est stérile, elle représente l’ancien monde. A l’inverse, l’humble servante Agar porte en elle le potentiel d’une nouvelle vie, ou d’une nouvelle idée. Que se passe-t-il lorsque l’ancien régime refuse le souffle vitale de la créativité? Il prouve sa stérilité.
Dans cet épisode biblique, Saraï finit néanmoins par enfanter d’Isaac, contre toute logique, à l’âge canonique de 90 ans! Agar et son fils Ismaël sont chassés, parce qu’ils font de l’ombre à la maîtresse de maison. Le refrain est connu.
Cette histoire décrit un processus des plus courants dans les entreprises. Je veux parler de la confrontation entre “la logique de la tête” et de “la logique du ventre”.
La “logique de la tête” exige la sécurité à tout prix. Elle implique que toute décision doit être mesurée, évaluée et garantie. Toute dépense doit engendrer un bénéfice supérieur à l’investissement de départ.
Au contraire, la “logique du ventre” se fonde sur des facultés innées, des prises de risques, des incertitudes et des aléas. On est dans le domaine de l’intuitif, de l’imprévisible et des possibles retours de manivelles. On parie sur l’avenir en espérant que les chances de réussite soient supérieures à une sur deux. Rien, sinon le “feeling” ou “les tripes” ne garantit qu’on va réussir.
Agar donne un fils aîné à Abraham mais est ensuite exclue du comité d’administration de “Abraham & Sons”. [Steve Jobs avait subi le même sort à une certaine époque…] La “logique du ventre” est incertaine, elle est irrationnelle mais potentiellement très fertile.
Si Abraham avait refusé la proposition (aujourd’hui considérée comme douteuse…) de son épouse, l’histoire de l’humanité en aurait été fondamentalement changée. Saraï, promue au titre de Sarah après l’alliance d’Abraham, a voulu capitaliser sur son ROI (Retour sur investissement), symbolisé par son fils légitime Isaac. On connaît tous la suite de cette histoire…
La morale de cette histoire demande peut-être une réflexion sur ces deux “logiques” en question.
D’un point de vue pragmatique, on peut se demander quelles idéologies soutiennent la sécurité et le status quo, et quelles valeurs défendent l’innovation et la créativité.
Ma fille m’a rappelé de quel côté mon cœur balance.